Rencontre avec un chercheur: Vincent Gouëset

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Directeur entre 2011 et 2017 du laboratoire Espaces et Sociétés (ESO), une unité mixte de recherche associant cinq universités dont Rennes 2 et le CNRS, Vincent Gouëset est professeur des universités en géographie. Il est actuellement, à Bogota, en Colombie où il se consacre à ses travaux de recherche.

 

Pouvez-vous me parler un peu de votre histoire et votre travail en Colombie?

Vincent Gouëset : La première fois que j’ai mis les pieds en Colombie, c’était en février 1988, il y a exactement trente ans. J’y suis resté quatre ans pour faire ma thèse. C’était juste avant l’arrivée d’internet, il n’y avait aucune communication possible avec la France. J’étais donc en immersion totale. Ma thèse portait sur les villes colombiennes. Elle a marqué le début d’une histoire d’amour scientifique ! J’ai ensuite été recruté à l'université Rennes 2 et depuis ce temps-là, je mène mes recherches sur l’Amérique latine, plus particulièrement sur la Colombie et sur Bogota. Je me rends donc régulièrement en Colombie grâce à des partenariats d’échanges et de recherche qui ne se sont jamais interrompus.

Vous parlez d’histoire d’amour scientifique. C’est un terme fort ! Qu’est-ce qui vous passionne dans l’étude des villes colombiennes et plus largement d’Amérique du sud ?

V. G. : Ce sont des villes et des sociétés en perpétuelle évolution, avec des changements beaucoup plus rapides que dans les villes françaises. Quand je suis arrivé la première fois à Bogotá, la ville n’avait que 4 millions et demi d’habitants, alors qu’elle en fait plus du double aujourd´hui ! Sur la même période, les villes européennes n’ont connu qu’une croissance limitée, voire une décroissance. Bogotá, comme d’autres métropoles latino-américaines, connaît une effervescence sociale, culturelle et institutionnelle permanente. Elle a par exemple été gouvernée par la gauche pendant 12 ans et elle a connu des innovations parfois fortes, à l’image du Transmilenio, le transport en commun en site propre inauguré en 2001 et qui sert depuis de référence dans de nombreuses villes du Sud. Cela n’exclut bien sûr pas la pauvreté de masse, la ségrégation qui est très forte, l’insécurité et les nombreuses difficultés de la vie quotidienne ; mais précisément, les métropoles latino-américaines sont devenues un miroir de la société locale, ce qui fait d’elles des objets d’étude passionnants.

Qu’est-ce qui distingue le système universitaire colombien du système français ?

V. G. : Le système français est très normé. Les universités publiques françaises sont toutes construites sur le même modèle, à peu de choses près, un modèle de service public fort qui demeure aujourd’hui encore la référence. En Colombie, deux systèmes cohabitent : le public d’un côté, le privé de l’autre, qui est très puissant. Concernant le public, il est dominé par une grande université, l’université nationale, qui est quasiment gratuite en premier cycle et qui reste peu onéreuse en deuxième ou troisième cycle, ce qui fait d’elle une université très sollicitée. Elle a un bon niveau d’enseignement avec de bons professeurs, mais de ce fait elle est très demandée et donc très sélective, avec un concours d’entrée très exigeant. Seuls les très bons étudiants y sont acceptés.
Le système privé quant à lui est pyramidal, avec une multiplicité de petites universités de qualité moyenne ou médiocre et un petit nombre de très bonnes universités, les universités « accréditées »,  c’est-à-dire reconnues comme telles par le ministère, qui sont très chères et qui constituent à ce titre le lieu de reproduction des élites sociales colombiennes. L’enseignement supérieur en Colombie est donc en partie un business pour les universités privées -bonnes et moins bonnes- qui dominent le paysage académique national.
Je travaille principalement avec deux universités, l’université nationale et l’université Externado de Colombie, qui est l’une des universités « accréditées ».

Avez-vous noté des différences dans la manière d’enseigner entre la Colombie et la France ?

V. G. : L’approche pédagogique diffère en effet beaucoup entre la France et l’Amérique latine. L’un de mes collègues français vivant en sur place le résumait ainsi: « Les étudiants latinos s’expriment mieux que les français, mais ils écrivent moins bien ». Et réciproquement. C’est le résultat d’un modèle d’enseignement différent. Les cours se font rarement dans des grands amphis en Colombie, les groupes d’étudiants y sont moins nombreux, les volumes horaires des cours y sont plus élevés et l’enseignement y est davantage participatif, ce qui est très agréable ! Les étudiants lisent davantage et discutent plus facilement avec le professeur qu’en France, où l’on apprend surtout à nos étudiants à se taire (en premier cycle du moins) ! En revanche, le travail de synthèse écrite y est plus rare et la tradition française de la dissertation y est inconnue, et au final nos étudiants sont plus à l’aise avec l’expression écrite.

Concernant l’initiation à la recherche, y a-t-il aussi des différences notables ?

V. G. : Les études en Colombie durent plus longtemps qu’en Europe, avec un premier cycle (Carrera ou Licenciatura) qui dure officiellement 5 ans (contre 3 pour notre licence) mais se prolonge souvent d’un an ou deux ; par contre l’initiation à la recherche se fait très tôt, avec l’élaboration d’un projet de recherche personnel parfois dès la deuxième année. Les étudiants reçoivent très tôt des cours de méthodologie de la recherche et participent dès le premier cycle à des petits projets de recherche, à des travaux de terrain, etc… L’accès en Doctorat en revanche y est plus tardif, du fait de la durée des premier et deuxième cycles, et les formations doctorales sont encore assez peu développées dans le domaine des lettres et des sciences humaines en Colombie.

Sur quoi portent les travaux de recherche que vous menez actuellement ?

V. G. : Mes travaux sont centrés principalement sur les villes, les sociétés urbaines et les politiques d’aménagement dans les métropoles d’Amérique latine, avec une orientation ces dernières années sur la question des mobilités, au sens large : migrations, mobilités résidentielles et mobilités quotidiennes. Les villes latino-américaines ont connu une croissance explosive du fait des migrations et de la transition démographique ; cette période est désormais révolue mais il subsiste d’importants problèmes de logement et de transport dans ces agglomérations aujourd´hui très peuplées et très étendues. On observe d’importantes inégalités dans les conditions d’accès au logement, à la mobilité, et in fine aux ressources de la ville. Mon travail consiste en quelque sorte à étudier l’évolution du rapport entre l’offre et la demande de mobilité, notamment entre les politiques publiques et les pratiques quotidiennes des habitants.

Quelles sont les perspectives de coopération entre Rennes 2 et la Colombie ?

V. G. : Actuellement, il n’existe pas encore de convention de coopération entre l’université Rennes 2 et l’université nationale de Colombie. Il existe un accord avec l’université Externado autour de la géographie et de l’urbanisme, et un autre accord avec la Université Jorge Tadeo Lozano, principalement autour des langues. Il existe en outre des contacts interpersonnels entre plusieurs enseignants-chercheurs de Rennes 2 et des collègues colombiens dans différents établissements. Me concernant, j’ai depuis une vingtaine d’années des programmes de recherche en commun et des échanges d’étudiants ou de professeurs avec plusieurs établissements, principalement l’université Externado de Colombie, en lien avec le Professeur Thierry Lulle qui a été deux fois invité à Rennes 2. Avec l’université nationale, j’ai pu aussi organiser quelques échanges plus informels ; j’ai notamment dirigé 3 doctorants sortis de cette université (l’un d’entre eux y est aujourd´hui maître de conférence, dans le département de sociologie). L’objectif aujourd´hui pour Rennes 2, au delà du renforcement des deux accords de coopération existants, est d’ouvrir une convention avec l’université nationale, qui se distingue par le niveau élevé de ses enseignants et de ses étudiants, et qui pourrait facilement recevoir des étudiants de Rennes 2 en mobilité, pour formation ou pour recherche, comme c’est déjà le cas dans les universités Externado et Jorge Tadeo Lozano. Le périmètre scientifique de l’université nationale est très large et recouvre la plupart des disciplines représentées à Rennes 2, avec un fort potentiel en sciences humaines et sociales, en arts (c’est le principal centre de formation dans ce domaine en Colombie), en lettres et en langues. L’université nationale comporte en outre une « Ecole d’études sur le genre » qui est une référence à l’échelle latino-américaine, ce qui intéresse Rennes 2 où c’est également une thématique prioritaire.

Pour terminer, je signalerai –c’est un fait peu connu- que les colombien·ne·s représentent aujourd’hui la première nationalité étrangère parmi les étudiant·e·s de Rennes 2 : la Colombie est donc d’ores et déjà bien présente dans notre établissement, il faut faire fructifier cette situation !

 

Pour plus d’informations :

Page professionnelle de Vincent Gouëset
Le site web du laboratoire Espaces et Sociétés (ESO-Rennes)

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vincent.goueset [at] univ-rennes2.fr